Discours d'installation

Le Sénat, le lundi 2 octobre 2017
MIS À JOUR - le lundi 10 septembre 2018

 

Je vous salue, vous tous ici présents qui avez pris le temps de venir voir cette passation séculaire qui date des gouverneurs de la Nouvelle-France, mais qui est aujourd’hui entièrement canadienne, et qui représente le fondement de notre démocratie.

Je transmets les chaleureuses salutations de notre souveraine, la reine Elizabeth II, à tous les Canadiens. Sa Majesté nous a accueillis, mon fils Laurier et moi, à son domaine en Écosse il y a à peine deux semaines. Elle m’a confié la responsabilité de la représenter ici au Canada en tant que gouverneure générale et j’ai accepté ce devoir avec humilité. Je sais que la tâche ne sera pas facile; j’essaierai du mieux que je pourrai de suivre les traces de mes prédécesseurs — les traces d’un grand homme, le gouverneur général David Johnston, et d’une grande femme, Madame Sharon Johnston. Je vous remercie de m’accueillir dans votre famille.

De ce passé opérationnel peu orthodoxe, que je partage d’ailleurs avec de nombreuses personnes dans cette salle, je ne m’attendais pas à cette nomination comme gouverneure générale, mais lorsqu’il s’agit de répondre à l’appel du devoir, il n’y a qu’une réponse possible. Je suis tellement privilégiée, tellement honorée, d’avoir la chance de vous représenter et de parler au nom de notre magnifique pays.

Monsieur le Premier Ministre, j’aimerais vous remercier de votre recommandation, et également de la confiance que vous m’accordez. Et si vous me le permettez, j’aimerais aussi remercier un fier jeune homme assis ici, mon fils Laurier, qui a été l’un des premiers conseillers consultés à ce sujet, et qui m’a donné la permission d’accepter ce poste. Merci Laurier, merci.

J’aurais aimé que cette salle du Sénat du Canada soit plus grande pour nous accueillir tous, pour qu’on soit tous ensemble. Parce que vous êtes vraiment venus très, très nombreux. Cependant, je peux vous assurer que nous sommes tous solidaires dans cette entreprise. Il y a beaucoup d’éminents scientifiques dans cette salle et beaucoup d’étoiles montantes, et ils vous diraient tous que nous sommes inextricablement liés au sein du même continuum espace temps et que nous sommes tous à bord du même vaisseau planétaire. 

Ensemble, comme le dit si bien l’adage, nous pouvons déplacer les montagnes, n’est ce pas? Avec nos cerveaux et notre savoir faire, et notre propension à l’altruisme, nous pouvons en effet faire beaucoup de bien. Et il est de notre devoir, dans une certaine mesure, d’aider à améliorer les vies des citoyens de nos collectivités; de réduire le fossé des inégalités ici et ailleurs dans le monde. Peut-être alors, si nous cherchons résolument à unir nos efforts, nous aurons une occasion de trouver les réponses à nos questions et nous pourrons trouver des solutions aux problèmes du monde, des problèmes graves et urgents comme le changement climatique et les migrations, la prolifération des armes nucléaires, la pauvreté, la croissance de la population, et ainsi de suite. Car les problèmes d’envergure mondiale n’ont pas de frontières; ils n’attendront pas que nous décidions d’agir, et ils nécessitent clairement notre attention.

Je suis une optimiste, mais aussi une pragmatique. D’ailleurs, on voit bien avec le succès de la station spatiale internationale qu’on peut toujours faire mieux ensemble que séparément. Le tout est plus grand que la somme de ses parties. Depuis le mois de novembre de l’an 2000, des astronautes et des cosmonautes de pays qui, souvent sur Terre, ne voient pas exactement les choses de la même manière, mais travaillent ensemble à bord de la station spatiale internationale, qui orbite autour de la terre 16 fois par jour, comme un satellite.

Cependant, la station spatiale internationale fait rarement les manchettes, parce qu’en réalité, il ne se passe vraiment rien de tragique là haut. En fait, tout fonctionne très bien, des gens de différents pays qui travaillent ensemble pour le bien commun. Ils travaillent tous ensemble et font des compromis quand la situation l’exige. D’une certaine façon, la Station spatiale internationale, mais aussi la mégascience, nous amènent, nous obligent à penser non seulement en fonction du microcosme de la nationalité, mais  en fonction de ce que nous pouvons faire pour faire avancer les choses et repousser les frontières de la science comme partenaires dans un esprit solidaire et pacifique. N’est ce pas là une avenue prometteuse?

Des leçons qu’on pourrait ramener sur Terre peut-être plus souvent et appliquer autant que possible. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire, n’est-ce pas? Mais je crois qu’ici, au Canada, nous sommes dans une position où nous pouvons plus que jamais faire une différence. Parce que nous sommes riches, riches en valeurs, ouverture, tolérance, entraide et compassion, et parce que nous avons décidé comme peuple de partager nos richesses autant que possible. Parce que nous croyons en l’égalité des chances et des opportunités pour tous.

Et j’ai été façonnée par ce pays, je crois sincèrement que ces valeurs absolument fondamentales nous unissent tous.

Mon père m’a dit que mon ancêtre, Pierre Payette, dit St-Amour, est arrivé sur ce territoire en 1665. Il était soldat au régiment de Carignan sur l’île de Montréal. Ceci me permet de saluer et d’exprimer mon admiration et mon respect énorme pour tous les hommes et les femmes qui choisissent de servir en uniforme.

Mon ancêtre Pierre Payette était donc un militaire, et est ensuite devenu agriculteur. Il s’est installé à Pointe-aux-Trembles, sur l’île de Montréal. Il a eu beaucoup d’enfants et plusieurs générations sont nées sur l’île de Montréal : mon père, mon frère, ma sœur, moi-même et Laurier, qui représente la 13e génération canadienne. Quelques années plus tard, mon autre ancêtre, François Payette, est devenu coureur des bois. J’imagine qu’il était un bon pagayeur. Il était un homme de confiance de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et un traducteur de langues amérindiennes. François Payette est parti explorer le nord-ouest du continent américain et, aujourd’hui encore en Idaho, on retrouve une ville, un comté, une rivière et même un parc national qui s’appellent Payette. Clairement, je suis fière de mes origines, mais je me suis rendu compte il y a bien longtemps que tous nos ancêtres, les miens également, avaient été guidés et accompagnés par des peuples extraordinaires. Ceux des Premières Nations qui, avec leur ingéniosité, leur générosité et leur courage, de par les montagnes à travers les forêts, le long des cours d’eau, ont ouvert le pas pour le reste d’entre nous. C’était les premiers pionniers de cette Terre, et ils le sont encore.

Les Autochtones sont des précurseurs. Ils nous ont enseigné à combattre le froid et à y survivre, et ils nous ont montré comment apprécier les dons de la nature et ce qu’est le sens de la communauté. Il est bon que nous ayons finalement décidé de prêter de nouveau attention à leurs sages conseils. Pour le bien de nos communautés et l'avenir de nos enfants.

 

La réconciliation doit s’accomplir pour le bien-être de nos communautés, et pour l’avenir de nos enfants. Parlons d’enfants! On a évoqué certaines choses qui m’intéressaient lorsque j’étais petite, mais je comprends et je sais à quel point j’ai eu la chance de naître dans ce pays et dans cette famille. Parce que ce sont mes parents, l’éducation, ce que j’ai vu en grandissant et les opportunités qu’on m’a données qui ont fait la différence. Quand j’étais petite, je voulais devenir astronaute, parce que je regardais les astronautes aller sur la Lune dans les missions Apollo, à la télévision. Pourtant, je ne parlais même pas la langue qu’ils parlaient. Ce n’était pas important, je voulais faire comme eux.

L’important par contre, c’est qu’on ne m’a pas découragée. Et plus tard, les Olympiques sont venus dans ma ville natale à Montréal, en 1976. J’ai alors découvert un monde bigarré, cosmopolite, avec l’exaltation de la haute performance et d’avoir la fierté de représenter son pays. Je voulais faire comme eux, je voulais voyager, je voulais devenir olympienne, mais je n’avais pas le talent. Par contre, on ne m’a jamais découragé d’essayer.

À huit ans, quand nous trouvons quelque chose d’intéressant à faire, nous en rêvons. Et puis parfois, avec l’âge, nous oublions d’entretenir nos rêves et nous oublions que nous pouvons faire des choses que d’autres pensent être impossibles. Oser rêver fait partie de notre essence.

Quelques années plus tard, à l’âge de 16 ans, j’ai eu la chance d’obtenir une bourse pour aller étudier dans un collège international en Grande-Bretagne. Heureusement, on m’a encouragée à y aller, et je suis partie avec mon anglais vacillant et mes deux valises de l’autre côté de l’océan, la tête pleine de convictions, mais pourtant avec si peu de certitude.

J’ai quitté le Canada sans le moindre souci au fond du cœur, parce qu’on m’avait donné le plus beau cadeau qui soit – l’amour inconditionnel. À mon départ, je savais que quoi qu’il arrive, même en cas d’échec, ils me reprendraient à bras ouverts. Mes parents seraient là pour moi et ils le sont encore aujourd’hui.

 

Ma mère Jacqueline, mon père André. Ils m’ont donné des ailes et j’en ai bien profité par la suite, je vous l’assure. Mais quand je suis revenue de tous ces voyages et ces périples, je suis revenue avec des convictions profondes : que l’éducation pour tous est la clé de toutes sociétés; que la diversité est une richesse profonde; que le sport, mens sana in corpore sano [un esprit sain dans un corps sain], peut nous mener très loin; que l’union fait la force et qu’il n’y a pas de recette magique dans la vie. C’est avec l’effort qu’on peut avancer.

 

Et vous savez quoi? L’effort porte ses fruits. Ce fut un périple incroyable et je crois fermement au pouvoir du travail d’équipe et à celui des rêves, et à l’absolue nécessité d’une structure de soutien. Et c’est là le socle de notre pays, le tissu social de notre nation. Je suis convaincue que rien ne nous est impossible et que nous pouvons relever tous les défis si nous sommes disposés à travailler avec les  autres, à aller au-delà de nos visées personnelles, à envisager les intérêts supérieurs, et à faire le nécessaire pour assurer le bien commun. Et j’espère que ce sera exactement la voie que je suivrai durant mon mandat de gouverneure générale.

L’un des plus grands privilèges que nous recevons, nous les gens qui ont eu la chance de voir la Terre de haut et d’aller dans l’espace, c’est de pouvoir observer cette planète que nous partageons tous, nous les 7 751 000 000 d’humains sur la planète. Nous sommes tous de la race humaine, et nous partageons ce monde extraordinaire. Ce monde extraordinaire qui nous apparaît comme une bille de marbre sur le fond infini de l’espace, avec sa petite atmosphère tout autour. Les frontières sont une invention des hommes. Cette Terre, cette planète, nous nous devons de la transmettre en bon état aux générations futures. Cette considération devrait nous accompagner dans tous nos choix et dans toutes nos décisions. À voir le nombre de jeunes personnes qui sont ici, je pense que ça va bien aller.

En tant que Canadiens, nous avons encore vraiment beaucoup de travail à faire. Je crois que la voie que nous devons suivre consiste à faire confiance à la science, à croire que l’innovation et les découvertes nous sont bénéfiques, et à prendre des décisions fondées sur les données scientifiques et les faits. Nous sommes un pays nordique fort et libre, capable des plus brillants exploits. Nous devrions toujours prendre soin de ceux qui sont moins fortunés, défendre ceux qui sont sans voix, surmonter les différences, exploiter nos terres intelligemment, ouvrir nos frontières et accueillir ceux qui cherchent un refuge. Jamais, au grand jamais, nous ne devrions cesser d’être curieux, de poser des questions et d’explorer de nouveaux horizons. Nous devrions aussi nous réjouir de notre situation et célébrer qui nous sommes et ce que nous voulons devenir.

Les jeunes qui sont dans cette salle nous démontrent ici, dans le Sénat du Canada, le plus haut lieu de gouvernance de notre pays, que le Canada est entre bonnes mains.

Mes amis, visez haut, osez rêver. Avec un peu d'effort, tout est possible. À la vie qui nous unit.

Merci.